Cette question (qui pourrait être un sujet de dissertation…) est à la fois très classique (elle est posée depuis l’antiquité grecque) et très débattue (on pourrait confronter les réponses de Descartes et de Rousseau), y compris actuellement aussi bien par les philosophes que par les scientifiques (neurosciences, biologie, zoologie, etc.)
Pour la réouverture de son séminaire à l’ENS Ulm, Francis Wolff expose aujourd’hui (de 17h à 19h) sa position sur la question lors d’une conférence intitulée :
« La rationalité humaine comme conséquence de son animalité »
Il y a, aujourd’hui, deux façons opposées et symétriques de nier la spécificité humaine. D’un côté, on soutient que les traditionnels « propres » de l’homme (le langage, la culture, le symbolique, la réflexion, l’art, etc.) « se trouvent » déjà chez « l’animal » et que l’homme n’est donc qu’un animal comme les autres — avec les diverses conséquences qu’on peut en tirer tant sur le plan épistémologique (jusque dans certains courants de l’anthropologie culturelle) ou moral (animalisme, anti-humanisme, etc.). D’un autre côté, on soutient que
la « rationalité » n’est nullement le propre de l’humanité, puisqu’elle est le fait des machines informatiques qui n’ont nul besoin d’une conscience animale ni même d’un support biologique— avec les diverses conséquences qu’on peut en tirer tant sur le plan épistémologique (jusque dans certains courants cognitivistes des sciences humaines) et moral (transhumanisme, post-humanisme, etc.).
Contre ces deux négations, nous soutiendrons, classiquement, que l’on peut encore définir l’humanité par l’étroite union d’une rationalité (à condition de ne pas la confondre avec l’intelligence — naturelle ou artificielle) et d’une animalité biologique : c’est parce qu’il est un
certain type de vivant social parlant qu’il est « rationnel » dans le double sens de la rationalité théorique et morale.
Nous tenterons en effet d’inférer les caractéristiques de la rationalité, d’une part de la forme singulière de la communication humaine, la structure prédicative : parler l’humain, c’est dire à quelqu’un quelque chose de quelque chose — ce qui donne accès à la négation, au possible et à l’argumentation, mais aussi à une ontologie de choses, d’événements et de personnes, avec diverses conséquences anthropologiques (l’homme comme animal métaphysique, théologique, artiste, etc.) ; d’autre part de la forme singulière de la conscience humaine : penser humainement, c’est pouvoir prendre ses propres croyances pour objet de ses croyances, ce qui donne accès à la notion de vérité, et pour objet de ses désirs ses propres désirs, ce qui donne accès à la notion de liberté.
L’animalité ne se conçoit donc pas, chez l’homme, sans la rationalité, qui n’est qu’un développement hypertrophique du langage ; et réciproquement, il n’y a pas de rationalité sans une base naturelle, puisqu’elle n’est qu’un repli de la conscience animale sur elle-même.