Dans Au moyen du Moyen Âge, Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam, Rémi Brague souligne la difficulté à faire dialoguer les trois monothéismes abrahamiques (judaïsme, christianisme et islam). Le partage d'une figure commune (Abraham) devrait pourtant leur offrir un terrain de d'échanges possibles.
Il n'en est rien car ces religions se disputent justement l'héritage de la tradition : " Quant au problème de fond de la coexistence, vous avez bien mis le doigt sur la difficulté fondamentale. Elle est paradoxale : ce qui gène n'est pas l'étrangeté des religions l'une par rapport à l'autre, c'est plutôt une certaine façon d'interpréter une proximité réelle. Ce qui exaspère les Juifs, c'est que les chrétiens prétendent comprendre « leur » livre mieux qu'eux. De façon analogue, ce qui rend les chrétiens perplexes - ce pourquoi ils se refusent souvent à en prendre conscience -, c'est que l'islam se comprend comme un post-christianisme, destiné à remplacer celui-ci. Pour l'islam, la survivance du christianisme est un anachronisme. L'islam se présente même comme le véritable christianisme, puisque, pour lui, les chrétiens ont défiguré l'Évangile authentique, comme d'ailleurs les Juifs ont trafiqué la Torah authentique. Pas question donc de s'appuyer sur des Écritures communes. De la sorte, du point de vue musulman, le « dialogue islamo-chrétien », c'est le dialogue entre les vrais chrétiens, à savoir les musulmans eux-mêmes, et des gens qui s'imaginent être chrétiens et qui ne le sont pas vraiment... C'est pourquoi un tel dialogue intéresse plus les chrétiens que les musulmans. " (p26-27)
De plus, pour dialoguer, il faut un peu se connaître, or " La connaissance de chacune des deux religions par l'autre est souvent assez mauvaise. Mais ce n'est pas pour es mêmes raisons. Il importe de se rendre compte des obstacles. Ils sont symétriques, mais inversés. Pour le dire en une formule évidemment sommaire : les chrétiens savent qu'ils ne connaissent pas l'islam ; les musulmans croient qu'ils connaissent le christianisme. Pour le christianisme, l'islam est quelque chose qui n'aurait pas dû exister. L'islam est un imprévu, quelque chose de nouveau et d'inattendu, et donc de paradoxal. Les chrétiens en tant que tels savent, ou croient savoir, ce que c'est que le judaïsme et ce que c'est que le paganisme. Or, les musulmans ne se laissent pas classer dans une catégorie préexistante : l'islam n'est pas païen - en tout cas il est monothéiste ; il n'est pas non plus juif ; il est encore moins chrétien. [...] Rien de tel pour l'islam. Pour lui, le christianisme est quelque chose de bien connu, une vieille histoire. Le Coran contient des renseignements sur les chrétiens : ils adorent à côté du Dieu unique d'autres entités, comme Jésus et sa mère. Le christianisme est quelque chose de dépassé. Les chrétiens se sont refusés à reconnaître le prophète définitif qui devait parachever leur religion. Ils ont manqué le coche." (p.352-353)
Il n'en est rien car ces religions se disputent justement l'héritage de la tradition : " Quant au problème de fond de la coexistence, vous avez bien mis le doigt sur la difficulté fondamentale. Elle est paradoxale : ce qui gène n'est pas l'étrangeté des religions l'une par rapport à l'autre, c'est plutôt une certaine façon d'interpréter une proximité réelle. Ce qui exaspère les Juifs, c'est que les chrétiens prétendent comprendre « leur » livre mieux qu'eux. De façon analogue, ce qui rend les chrétiens perplexes - ce pourquoi ils se refusent souvent à en prendre conscience -, c'est que l'islam se comprend comme un post-christianisme, destiné à remplacer celui-ci. Pour l'islam, la survivance du christianisme est un anachronisme. L'islam se présente même comme le véritable christianisme, puisque, pour lui, les chrétiens ont défiguré l'Évangile authentique, comme d'ailleurs les Juifs ont trafiqué la Torah authentique. Pas question donc de s'appuyer sur des Écritures communes. De la sorte, du point de vue musulman, le « dialogue islamo-chrétien », c'est le dialogue entre les vrais chrétiens, à savoir les musulmans eux-mêmes, et des gens qui s'imaginent être chrétiens et qui ne le sont pas vraiment... C'est pourquoi un tel dialogue intéresse plus les chrétiens que les musulmans. " (p26-27)
De plus, pour dialoguer, il faut un peu se connaître, or " La connaissance de chacune des deux religions par l'autre est souvent assez mauvaise. Mais ce n'est pas pour es mêmes raisons. Il importe de se rendre compte des obstacles. Ils sont symétriques, mais inversés. Pour le dire en une formule évidemment sommaire : les chrétiens savent qu'ils ne connaissent pas l'islam ; les musulmans croient qu'ils connaissent le christianisme. Pour le christianisme, l'islam est quelque chose qui n'aurait pas dû exister. L'islam est un imprévu, quelque chose de nouveau et d'inattendu, et donc de paradoxal. Les chrétiens en tant que tels savent, ou croient savoir, ce que c'est que le judaïsme et ce que c'est que le paganisme. Or, les musulmans ne se laissent pas classer dans une catégorie préexistante : l'islam n'est pas païen - en tout cas il est monothéiste ; il n'est pas non plus juif ; il est encore moins chrétien. [...] Rien de tel pour l'islam. Pour lui, le christianisme est quelque chose de bien connu, une vieille histoire. Le Coran contient des renseignements sur les chrétiens : ils adorent à côté du Dieu unique d'autres entités, comme Jésus et sa mère. Le christianisme est quelque chose de dépassé. Les chrétiens se sont refusés à reconnaître le prophète définitif qui devait parachever leur religion. Ils ont manqué le coche." (p.352-353)
Enfin, ces religions diffèrent sur un point essentiel : " Les révélations musulmane et juive, qui se présentent comme des lois, ne posent pas les mêmes problèmes que la révélation chrétienne. Celle-ci étant révélation d'une personne, donc de « mystères », se comprend avant tout comme demandant la foi. Concilier religion et philosophie est en chrétienté un problème épistémologique, voire psychologique ; en islam et dans le judaïsme, c'est avant tout un problème politique. Par ailleurs, le philosophe qui vit selon une de ces religions a une responsabilité de nature politique. Pour citer une formule brève, mais brillante de Warren Z. Harvey: « Socrate a été jugé ; Averroès et Maïmonide étaient juges». "
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