À
quelles conditions en effet la sanction pénale peut-elle être juste ? Le questionnement est ancien car il se trouve déjà au cœur de la tragédie d'Eschyle (525-456 av. J.-C.) Les Euménides. Comment
laver le crime de Clytemnestre par son fils Oreste sans commettre un nouveau crime ? D'autant qu'Oreste en tuant sa mère ne faisait que venger son père. Mais il ne s'agit toujours alors que de vengeance et non encore de justice. La question est donc de savoir comment la
justice peut-elle s'exercer sans agir elle-même de façon injuste ?
La tragédie d'Eschyle ménage une solution : à
la vengeance traditionnelle se substitue l'institution d'un tribunal examinant les
mobiles du crime avec un interrogatoire contradictoire.
Les Érinyes (esprits femelles,
divinités chthoniennes nées des gouttes de sang tombées sur Gaïa,
la Terre, lorsque Chronos mutila Ouranos) qui assuraient jusqu'alors
la vengeance deviennent les Euménides, c'est-à-dire les
Bienveillantes, protectrices d’Athènes, chargées de faire régner
la justice.
Bouguereau, Les Remords d'Oreste, 1862 |
Cependant, la question de la nature de la sanction et de son application n'est pas pour autant réglée, tout particulièrement si l'on pense à la peine de mort. Il faut lire (ou relire) deux courts textes engagés de Hugo : Le dernier jour d'un condamné et Claude Gueux. L'un et l'autre montrent bien l'injustice de la peine capitale et les limites de l'emprisonnement. Hugo s'exclame en effet : "On est parfois tenté de croire que les défenseurs de la peine de mort. N'ont pas bien réfléchi à ce que c'est. Mais pesez donc un peu à la balance de quelque crime que ce soit ce droit exorbitant que la société s'arroge d'ôter ce qu'elle n'a pas donné, cette peine, la plus irréparable des peines irréparables !" Dans Claude Gueux, Hugo pose la question de la responsabilité de la société elle-même dans les crimes des particuliers, retrouvant la critique de l'injustice de la société que Rousseau dressait déjà : "Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, cœur bien fait, sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite qu'il finit par voler. La société le met dans une prison si mal faite qu'il finit par tuer. Qui est réellement coupable ? Est-ce lui ? Est-ce nous ?
Questions sévères, questions poignantes, qui sollicitent à cette heure toutes les intelligences, qui nous tirent tous tant que nous sommes par le pan de notre habit, et qui nous barreront un jour si complètement e chemin qu'il faudra bien les regarder en face et savoir ce qu'elles nous veulent."
Notons que Claude Gueux a fait très récemment l'objet d'une adaptation pour la scène sous la forme d'un opéra, commandé par l'Opéra de Lyon et composé par Thierry Escaich. Le livret a été adapté de la nouvelle de Hugo par Robert Badinter, héros de l'abolition de la peine de mort en France dans les années 80 en tant que Garde des Seaux. A l'occasion de cette production, Robert Badinter a donné une conférence intitulée "Hugo et la justice" qui est disponible en ligne.
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