lundi 19 août 2013

Faut-il croire pour savoir ?

Il semble a priori que ces deux états de l'esprit que sont la croyance et le savoir s'opposent. Croire, ce n'est pas tout à fait savoir. Lorsque je dis : "Je crois qu'il fera beau demain", je suppose que c'est non seulement possible mais hautement probable. Il semble donc y avoir dans la croyance une part d'incertitude. Au contraire, dès lors que je sais, je n'ai plus besoin de croire. Je ne vais pas dire par exemple que je crois que 2 + 2 = 4, je le sais. Il n'y a là aucune incertitude. Ainsi, il apparait en première analyse que la croyance n'est pas nécessaire au savoir ("Faut-il..."), et même qu'elle peut être un obstacle au savoir. 
Cependant, l'histoire des sciences montre que cette opposition n'est pas aussi tranchée. Les croyances, tout particulièrement religieuses, n'ont-elles pas été l'un des moteurs du savoir ? 
André Pichot dans La naissance de la science, tome 1 : Mésopotamie, Égypte montre que l'avancée des mathématiques mésopotamiennes est dû à une mystique des nombres : "Le statut du nombre est bien différent [de celui des figures géométriques], et il n'est pas aussi immédiat et naturel : si je rencontre trois arbres, les arbres au nombre de trois appartiennent à la nature, mais le nombre 3 n'y appartient pas (a fortiori le nombre 10 523 qu'on ne peut même pas évaluer d'un coup d'œil). Les nombres ne se présentent pas sous les sens de manière aussi claire que les figures géométriques ; ils sont bien plus abstraits et n'appartiennent pas à notre géographie habituelle. Et pourtant ces abstractions que sont les nombres existent et, de plus, présentent certaines propriétés régulières. Ne pouvant se rattacher au concret comme la géométrie, le niveau d'existence des nombres glissera facilement vers le sur-naturel (ils ne sont pas dans la nature, mais cependant ils commandent certains phénomènes naturels qui répondent à des apports numériques - ils sont donc au-dessus de cette nature)." (p.119)
Tablette mésopotamienne

Si les mathématiques mésopotamiennes ont connu un développement plus important que les mathématiques égyptiennes car les Mésopotamiens accordaient aux nombres des pouvoirs magiques. "Comparativement à l'arithmétique mésopotamienne, celle de l’Égypte paraît pauvre ; on n'y trouve pas la même frénésie numérique, mais il ne semble pas y avoir non plus la même mystique [...]. D'une certaine manière, cette absence de mystique numérique semble avoir freiné les tentatives d'exploration des propriétés des nombres, autres que celles qui sont directement applicables à la résolution de problèmes concrets." (p.242) Autrement dit, une croyance irrationnelle a été à l'origine du développement d'une science rationnelle.
Il en va de même de leurs connaissances astronomiques, plus poussées que celles des Égyptiens, du fait de leurs croyances astrologiques : "Tout comme la mystique numérique a favorisé l'exploration des propriétés des nombres par les Mésopotamiens, leurs croyances astrologiques ont développé leur astronomie [...]. Les Égyptiens - bien que leurs dieux soient souvent assimilés aux astres [...] - semblent n'avoir vu dans l'astronomie que le moyen de compter le temps, non seulement le temps agricole, mais aussi le temps mystique ; car les prêtres devaient accomplir certains rites à des dates et heures déterminées, et c'est sans doute largement pour ces pratiques religieuses que l'astronomie s'est développée - mais une astronomie qui se contentait de compter le temps et non une astrologie." (p.282)
L'usage pratique et l'absence de démonstrations et d'organisation des connaissances en un système caractérisent cependant de façon égale les mathématiques de ces deux civilisations. A propos des Mésopotamiens, André Pichot écrit : "les nombres sont rarement considérés comme un moyen d'intelligibilité (ni, a fortiori, de rationalité) ; ce sont simplement des moyens de calcul. Il n'y a jamais recherche de démonstrations, ni arithmétiques, ni géométriques ; jamais n'est envisagée la possibilité de construire un tout mathématique articulant de telles démonstrations en un ensemble rationnel. Ceci va de pair avec le fait que les problèmes traités sont toujours, sinon l'application pratique directe, du moins très concrets. Cette mathématique ne travaille pas sur des objets abstraits qui lui seraient propres mais sur la réalité sensible ; par exemple, la géométrie ne s'attache pas à rechercher et démontrer les propriétés du carré en tant qu'abstraction mathématique, mais simplement à trouver le moyen de calculer la surface d'un champ carré [...] C'est pourquoi le Mésopotamien se contente assez facilement d'approximations [...] ne rejetant pas pour autant les méthodes exactes quand il les trouve." (p.114)
Extrait du papyrus de Rhind
Quant aux Égyptiens, André Pichot affirme : "Il n'y a pas en général de souci de démonstration, les problèmes sont donnés à titre d'exemples, un peu comme des «recettes» : «quand un problème de telle sorte t'est posé, tu dois faire ceci». A fortiori, il n'y a pas de tentatives d'articulation de ces problèmes en un tout rationnel." (p.240) 
Ainsi, les croyances mythologiques, sacrées, mystiques ou magiques ont été le moteur de la recherche de solutions à des questions ponctuelles. Il s'agit bien d'un savoir pré-scientifique appuyé et nourri par la croyance.
Quelques liens pour prolonger cette découverte des mathématiques et de l'astronomie antique :

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