jeudi 29 août 2013

Un athée peut-il être un bon citoyen ?

Cette question peut paraître bien incongrue dans une république laïque comme la nôtre. Dans quelle mesure en effet l'athéisme pourrait-il être un obstacle à l'exercice de la citoyenneté ? Quel rapport peut-il bien y avoir entre la vie politique et une position religieuse ou intellectuelle ? L'athéisme semble relever d'une décision individuelle, qui peut certes avoir une influence sur les actions des hommes, mais qui ne semble pas pouvoir nuire à la vie politique. 

Pourtant, comme le souligne Rémi Brague dans Au moyen du Moyen Âge (p.36-38), il en va de la question de l'engagement et du sens. Il fait alors deux remarques très intéressantes. La première rappelle que la Constitution de la Ve République reprend intégralement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Or cette dernière n'est pas athée, mais clairement théiste (et les chrétiens peuvent aussi y reconnaître leur Dieu) puisqu'elle affirme : "l'Assemblée nationale reconnait et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen." Il faut relever ici que l'Assemblée déclare ces droits, elle les inscrit, les énonce, les publie, les diffuse, mais elle juge qu'elle ne les crée pas mais les reconnait, car de tels droits sont naturels. Quel est l'enjeu philosophique de la référence à une telle transcendance ? Il en va de la pérennité de ces droits. Rémi Brague écrit ainsi : "Le problème qui se pose pour les démocraties modernes est que ce que quelqu'un fait, il peut aussi le défaire. Ce qui est qu'octroyé par des hommes - des « droits », une « dignité », etc. - pourrait un jour retiré par ces mêmes hommes." Si les droits ne sont que des productions culturelles, historiquement et géographiquement déterminées, s'ils ne sont que des conventions instituées, ils peuvent être modifiés, au profit comme au détriment des hommes. Une transcendance comme celle de Dieu peut dès lors apparaître comme une sorte de garant de l'existence autonome de ces droits qui sont alors considérés comme naturels.  
La seconde remarque formulée par Brague est une référence et une citation à la Lettre sur la tolérance de John Locke (1632-1704). Locke écrit : "Enfin, ceux qui nient l'existence d'un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole ; et que si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le désor­dre et la confusion générale." La tolérance en matière de religion semble donc avoir une limite : l'athéisme, et la raison de cette limite n'est autre que la possibilité d'un ordre social et politique pacifique. Locke considère que la vie sociale dans son ensemble repose sur "les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi", or, sur quoi un athée pourrait-il bien jurer ou promettre ? Qu'est-ce qui l'engage vis-à-vis des autres ? Sa vertu ? Mais ne peut-elle être sujette à variations ?
Ainsi derrière cette question de la compatibilité entre l'athéisme et la politique, se cache la difficulté des démocraties et des sociétés modernes à poser une norme commune, une  forme de transcendance, laïque ou autre. L’État peut-il se sacraliser lui-même pour remplir un tel rôle ? Mais, dès lors, n'est-ce pas une dérive totalitaire ? De plus, quel est le poids politique de la référence à un Être suprême lorsque la société en question n'entretient plus avec la religion une relation traditionnelle ? Ces difficultés elles-mêmes, politiques et sociales, ne risquent-elles pas justement de susciter un retour du traditionalisme en matière de religion ?

dimanche 25 août 2013

Bibliogaphie pour les élèves de Terminale

L'enseignement de philosophie en Terminale n'est pas concevable sans la fréquentation d'auteurs dont le programme fixe une liste. La lecture des textes originaux permet de s'initier aux écritures, aux problèmes, aux démarches philosophiques et aux doctrines des auteurs. Même partielles, ces lectures « dans le texte » sont toujours plus profitables que les résumés. Cette liste se voulant réaliste, c'est-à-dire abordable en quelques mois, on ne s'étonnera pas de ne pas trouver certains philosophes. Vous pouvez tout lire si vous le souhaitez et si vous en avez le temps mais je recommande de faire une sélection, au gré de vos envies, de vos préférences, de votre temps ou des occasions qui se présentent. L'important étant d'engager la lecture. En cas de besoin bibliographique spécifique, n'hésitez pas à me consulter. Enfin cette liste ne se périme pas après la classe de Terminale...

1. Œuvres d'auteurs au programme :
  • Platon :
      • Apologie de Socrate, Criton (en seul volume chez G.F.), Phédon (chez G.F. également). La trilogie du destin de Socrate, ayant marqué définitivement et la vie et la pensée de Platon mais aussi par là-même, toute la philosophie : de son procès (Apologie), à son emprisonnement (Criton) et enfin sa mort (Phédon). Les 3 en un seul volume chez Folio.
      • La République (Folio, traduction Pachet) : épais mais essentiel. Presque toute la philosophie de Platon y est en jeu.
  • Les écoles antiques de philosophie :
      • Cynisme : Les cyniques grecs, fragments et témoignages (Livre de poche)
      • Stoïcisme, Scepticisme, Épicurisme : recueils de textes choisis aux PUF.
  • Descartes : Discours de la méthode. Une autobiographie intellectuelle qui le conduit à exposer sa méthode (ayant rendue possible la science moderne) et ses résultats, dans un style d'une grande noblesse. Puis les Méditations métaphysiques (Livre de Poche)
  • Rousseau :
      • Discours sur les sciences et les arts, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Deux textes, dont le style rend parfois difficile la compréhension, d'autant qu'ils sont paradoxaux et problématiques.
      • Du contrat social, au moins les 2 premiers livres. Texte difficile mais absolument essentiel pour comprendre le fonctionnement de toute vie politique.
  • Diderot : Supplément au voyage de Bougainville, Lettre sur les aveugles. Critique rationnelle du monde, de la culture, de ses contradiction contre-nature pour le premier texte et matérialisme sensualiste pour le second. 2 textes représentatifs de l'esprit des Lumières françaises.
  • Hume : Enquête sur l'entendement humain. Une approche rationaliste et sceptique des démarches intellectuelles humaines. Une enquête qui est presque une anthropologie.
  • Kant : Réponse à la question : « Qu'est-ce que les Lumières »?. La rigueur de la démarche, du lexique et du style de Kant rendent difficile la lecture des ses œuvres les plus importantes : Critique de la raison pure, Critique de la raison pratique et Critique de la faculté de juger. Les opuscules sont donc plus accessibles. Si on tient à se lancer dans la trilogie des critiques, je recommande de choisir comme compagnon le petit livre de Gilles Deleuze, Kant et la philosophie pratique (PUF).
  • Hegel : Esthétique, Textes choisis (PUF). Même remarque que pour Kant, Hegel peut passer pour un philosophe abscons et rebuter. Toute réflexion sur l'art peut tirer parti de l'introduction de son cours d'esthétique.
  • Marx : Manifeste communiste (ou du Parti communiste).
  • Nietzsche : Généalogie de la morale (Folio). Attention aux malentendus avec cet auteur qui peut d'autant plus séduire qu'il est mal compris. Éviter autant que possible de lire Zarathoustra, ou alors avec la plus grande ouverture d'esprit possible quant au sens du texte. Par contre, on peut librement circuler dans Par delà bien et mal et Le gai savoir (Folio). Une bonne anthologie : Nietzsche, vie et vérité, textes choisis (PUF).
  • Tocqueville : De la démocratie en Amérique (2 tomes, GF). Lecture secondaire mais indispensable pour qui veut comprendre l'évolution des démocraties modernes mais aussi les États-Unis d'aujourd'hui.
  • Bergson : Le rire (PUF). Agréable et à lire en parallèle avec le Misanthrope de Molière (si ce n'est déjà fait...)
  • Freud : Introduction à la psychanalyse (Payot), Cinq leçons sur la psychanalyse, Psychopathologie de la vie quotidienne (Folio). Quand le père de la psychanalyse, explique lui-même sa discipline, pourquoi chercher ailleurs? A lire avec un œil sceptique néanmoins.
  • Russell, Problèmes de philosophie (Payot). Excellent texte, très abordable, démarche sceptique mais productive.
  • Arendt : La crise de la culture (Presse Pocket). Très bonne analyse de la modernité. Référence exploitable sur de nombreuses questions.
  • Sartre : L'existentialisme est un humanisme (Folio). Moins simple qu'il n'y paraît mais si enthousiasmant dans son exigence.
  • Lévi-Strauss, Tristes tropiques (Presses Pocket) : le texte fondateur de l'ethnologie moderne. A compléter pour les plus motivés par Philippe Descola, Les lances du crépuscule (Presses Pocket), élève de Lévi-Strauss, proposant de dépasser l'opposition nature/culture.
  • Tous les philosophes. Les grandes idées tout simplement. (Éditions Prisma). Série de brèves fiches de présentation des différentes philosophies de Thalès à Zizek. Très claire, très bien illustrée, schéma bien pensés. Abordant également les philosophies non-occidentales.   
      
    2. Autres textes abordant des questions du programme :
  • Pour une première approche des problématiques et de l'histoire de la philosophie, comme une transition entre littérature et philosophie : Jostein Gaarder, Le monde de Sophie (Point Seuil). Chaleureusement recommandé.
  • Les deux sources de l'Europe sont Athènes et Jérusalem. Il faut donc connaître les grands textes de ces 2 traditions :
      • La Bible, traduction œcuménique (Livre de Poche). Pour un texte aussi chargé, le choix de la traduction peut être déterminant. La traduction œcuménique est la plus consensuelle. Si possible, à lire intégralement (pas d'une traite nécessairement...), sinon en priorité
        • Dans l'Ancien Testament : le Pentateuque (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome), livre de Job et le Cantique des Cantiques.
        • Dans le Nouveau Testament : au choix l'un des évangiles synoptiques (Matthieu, Marc ou Luc) et l'épitre aux romains de Paul.
      • Vernant : L'univers, les dieux, les hommes (Presse Pocket). L'un des plus éminent helléniste français raconte les grands mythes grecs. Mais rien ne vaut une source directe : Homère, Illiade (GF) et Odyssée (Traduction Philippe Jaccottet, Éditions de La Découverte)
  • Il faut un minimum de culture générale pour traiter et nourrir les dissertations :
      • En art : Gombrich, Histoire de l'art (Phaidon). Simple, bonnes analyses (sauf pour l'art moderne), reproductions de qualité.
      • En histoire : Malet et Isaac, L'histoire (un seul tome chez Marabout). L'essentiel à connaître avant d'explorer plus précisément chaque période.
      • En sciences :
        • Physique : Galilée, Newton lus par Einstein et Einstein, 1905. De l'éther aux quanta (PUF) de Françoise Balibar. Accessibles et lumineux. Brian Greene, L'univers élégant (Folio). Extrêmement accessible et pédagogique, l'ouvrage montre comment mécanique quantique et relativité peuvent s'accorder dans la théorie de super-cordes. C'est la science telle qu'elle se cherche aujourd'hui.
        • Biologie : Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (GF). Sur la théorie de l'évolution : S.J. Gould, Darwin et les grandes énigmes de la vie (Point Seuil).
3. Littérature :
Vous commencerez par poursuivre la lecture des classiques découverts en cours de Lettres et de Langues. S'il y a des failles dans le domaine :
  • Une anthologie de poésie française est nécessaire. Il en existe beaucoup, à vous de choisir celle qui convient à vos préférences et/ou au temps dont vous disposez.
  • Il faut connaître au moins une tragédie antique : Sophocle, Œdipe roi (Folio). Puis se lancer dans l'Orestie d'Eschyle (GF).
  • Une tragédie classique de Corneille et de Racine, une comédie de Molière, au choix.
  • Un roman de Balzac, un de Hugo, un de Zola, au choix.
Vous pouvez aussi aborder la littérature traitant directement de problèmes philosophique :
  • Kafka, Le procès, Le château (GF). L'absurde de la justice et de l'existence en général.
  • Rilke, Lettres à un jeune poète (Poésie Gallimard). Qu'est-ce qu'être artiste?
  • Proust, A la recherche du temps perdu. Conséquent (8 volumes) mais incontournable!
  • Céline, Voyage au bout de la nuit. Un des plus grands auteurs français modernes.
  • Sartre, La nausée. La découverte de l'existence.
  • Primo Lévi, Si c'est un homme (Presse Pocket) ou Robert Antelm, L'espèce humaine (Gallimard). L'expérience des camps de concentration.
  • Philip Kindred Dick, Blade runner, Minority report (J'ai Lu). Un des plus prolifiques et brillants auteurs américains contemporains de science-fiction.
4. Revues : Certaines de ces revues sont disponibles à la bibliothèque. Vous pouvez aussi les commander sur internet.
  • Philosophie magazine, revue mensuelle, très riche, très claire, abordant autant des doctrines que des problématiques philosophiques ou bien encore des questions d'actualité analysées d'un point de vue philosophique. Hautement recommandé pour tout élève de Terminale !
    Ce magazine publie également des Hors Séries ludiques comme Tintin au pays des philosophes et Spécial Bande Dessinée : La vie a-t-elle un sens ?
  • Sciences humaines, revue mensuelle présentant des doctrines et des questions qui recoupent celles de la philosophie. La sociologie, la psychologie, la psychanalyse, les neurosciences, l'éthologie y sont, entre autres, abordées.
  • Les Dossiers de La Recherche, trimestriel. Aborde des grands dossiers scientifiques, par exemple n°33 de novembre 2008 : L'héritage de Darwin, n°35 de mai 2009 : Le big-bang, révélations sur l'origine de l'univers, n°45 d'octobre 2011 : Neandertal, notre nouvel ancêtre.
  • Les cahiers de Science & Vie, revue mensuelle abordant l'histoire des civilisations, des savoirs et des techniques. Par exemple n°105 de juin 2008 : La sorcellerie et les sciences occultes, n°107 d'octobre 2008 : Les origines de l'écriture, n°118 d'août 2010 : Les origines des langues, n°121 de février 2011 : Naissance de la médecine, n°129 de mai 2012 : L'astronomie, n°131 d'août 2012 : Aux origines de Dieu.
  • Le Point, Hors-série, semestriel. Aborde des grandes figures de la pensée ou bien des courants de pensées ou des religions. La structure (très pédagogique et utile) du numéro est toujours la même : présentation, choix de textes commentés, un entretien et enfin un lexique. Je recommande, parmi d'autres, les titres suivants :
      • Sur les mythes et les religions :
        • Mythes et mythologies : Œdipe, Sisyphe, Osiris, Icare...
        • Les religions d'Asie : hindouisme, bouddhisme, taoïsme
        • Les religions monothéistes : judaïsme, christianisme, islam
        • Le christianisme : saint Paul, saint Thomas, Luther, Wesley...
      • Sur l'histoire de la pensée :
        • La pensée antique : Aristote, Épicure, Platon
        • La pensée en islam : Avicenne, Averroès, Al-Ghazali, Ibn Khaldoun...
        • La pensée chinoise : Confucius, Lao-Tseu, Tchouang-Tseu
      • Sur la philosophie et des thèmes au programme :
        • Freud, Ferenczi, Klein, Lacan... Les textes fondamentaux de la psychanalyse
        • Penser l'homme. Sartre, Camus, Foucault, Lévinas...
        • Les textes fondamentaux de la pensée politique. Machiavel, Locke, Rousseau, Tocqueville Marx...
        • Penser la mort. Platon, Sénèque, Épicure, Confucius, Pascal, Camus...
        • Comprendre l'autre. Hérodote, Rousseau, Durkheim, Lévi-Strauss...
        • Les textes fondamentaux du libéralisme. Smith, Tocqueville, Hayek...
        • La liberté, les textes fondamentaux. Sénèque, Saint Paul, Sade, Tocqueville, Sartre, Foucault...
        • Voltaire contre Rousseau
        • Les maîtres de la raison : Descartes, Locke, Leibniz

Bonnes lectures !


lundi 19 août 2013

Faut-il croire pour savoir ?

Il semble a priori que ces deux états de l'esprit que sont la croyance et le savoir s'opposent. Croire, ce n'est pas tout à fait savoir. Lorsque je dis : "Je crois qu'il fera beau demain", je suppose que c'est non seulement possible mais hautement probable. Il semble donc y avoir dans la croyance une part d'incertitude. Au contraire, dès lors que je sais, je n'ai plus besoin de croire. Je ne vais pas dire par exemple que je crois que 2 + 2 = 4, je le sais. Il n'y a là aucune incertitude. Ainsi, il apparait en première analyse que la croyance n'est pas nécessaire au savoir ("Faut-il..."), et même qu'elle peut être un obstacle au savoir. 
Cependant, l'histoire des sciences montre que cette opposition n'est pas aussi tranchée. Les croyances, tout particulièrement religieuses, n'ont-elles pas été l'un des moteurs du savoir ? 
André Pichot dans La naissance de la science, tome 1 : Mésopotamie, Égypte montre que l'avancée des mathématiques mésopotamiennes est dû à une mystique des nombres : "Le statut du nombre est bien différent [de celui des figures géométriques], et il n'est pas aussi immédiat et naturel : si je rencontre trois arbres, les arbres au nombre de trois appartiennent à la nature, mais le nombre 3 n'y appartient pas (a fortiori le nombre 10 523 qu'on ne peut même pas évaluer d'un coup d'œil). Les nombres ne se présentent pas sous les sens de manière aussi claire que les figures géométriques ; ils sont bien plus abstraits et n'appartiennent pas à notre géographie habituelle. Et pourtant ces abstractions que sont les nombres existent et, de plus, présentent certaines propriétés régulières. Ne pouvant se rattacher au concret comme la géométrie, le niveau d'existence des nombres glissera facilement vers le sur-naturel (ils ne sont pas dans la nature, mais cependant ils commandent certains phénomènes naturels qui répondent à des apports numériques - ils sont donc au-dessus de cette nature)." (p.119)
Tablette mésopotamienne

Si les mathématiques mésopotamiennes ont connu un développement plus important que les mathématiques égyptiennes car les Mésopotamiens accordaient aux nombres des pouvoirs magiques. "Comparativement à l'arithmétique mésopotamienne, celle de l’Égypte paraît pauvre ; on n'y trouve pas la même frénésie numérique, mais il ne semble pas y avoir non plus la même mystique [...]. D'une certaine manière, cette absence de mystique numérique semble avoir freiné les tentatives d'exploration des propriétés des nombres, autres que celles qui sont directement applicables à la résolution de problèmes concrets." (p.242) Autrement dit, une croyance irrationnelle a été à l'origine du développement d'une science rationnelle.
Il en va de même de leurs connaissances astronomiques, plus poussées que celles des Égyptiens, du fait de leurs croyances astrologiques : "Tout comme la mystique numérique a favorisé l'exploration des propriétés des nombres par les Mésopotamiens, leurs croyances astrologiques ont développé leur astronomie [...]. Les Égyptiens - bien que leurs dieux soient souvent assimilés aux astres [...] - semblent n'avoir vu dans l'astronomie que le moyen de compter le temps, non seulement le temps agricole, mais aussi le temps mystique ; car les prêtres devaient accomplir certains rites à des dates et heures déterminées, et c'est sans doute largement pour ces pratiques religieuses que l'astronomie s'est développée - mais une astronomie qui se contentait de compter le temps et non une astrologie." (p.282)
L'usage pratique et l'absence de démonstrations et d'organisation des connaissances en un système caractérisent cependant de façon égale les mathématiques de ces deux civilisations. A propos des Mésopotamiens, André Pichot écrit : "les nombres sont rarement considérés comme un moyen d'intelligibilité (ni, a fortiori, de rationalité) ; ce sont simplement des moyens de calcul. Il n'y a jamais recherche de démonstrations, ni arithmétiques, ni géométriques ; jamais n'est envisagée la possibilité de construire un tout mathématique articulant de telles démonstrations en un ensemble rationnel. Ceci va de pair avec le fait que les problèmes traités sont toujours, sinon l'application pratique directe, du moins très concrets. Cette mathématique ne travaille pas sur des objets abstraits qui lui seraient propres mais sur la réalité sensible ; par exemple, la géométrie ne s'attache pas à rechercher et démontrer les propriétés du carré en tant qu'abstraction mathématique, mais simplement à trouver le moyen de calculer la surface d'un champ carré [...] C'est pourquoi le Mésopotamien se contente assez facilement d'approximations [...] ne rejetant pas pour autant les méthodes exactes quand il les trouve." (p.114)
Extrait du papyrus de Rhind
Quant aux Égyptiens, André Pichot affirme : "Il n'y a pas en général de souci de démonstration, les problèmes sont donnés à titre d'exemples, un peu comme des «recettes» : «quand un problème de telle sorte t'est posé, tu dois faire ceci». A fortiori, il n'y a pas de tentatives d'articulation de ces problèmes en un tout rationnel." (p.240) 
Ainsi, les croyances mythologiques, sacrées, mystiques ou magiques ont été le moteur de la recherche de solutions à des questions ponctuelles. Il s'agit bien d'un savoir pré-scientifique appuyé et nourri par la croyance.
Quelques liens pour prolonger cette découverte des mathématiques et de l'astronomie antique :