Cette question peut paraître bien incongrue dans une république laïque comme la nôtre. Dans quelle mesure en effet l'athéisme pourrait-il être un obstacle à l'exercice de la citoyenneté ? Quel rapport peut-il bien y avoir entre la vie politique et une position religieuse ou intellectuelle ? L'athéisme semble relever d'une décision individuelle, qui peut certes avoir une influence sur les actions des hommes, mais qui ne semble pas pouvoir nuire à la vie politique.
Pourtant, comme le souligne Rémi Brague dans Au moyen du Moyen Âge (p.36-38), il en va de la question de l'engagement et du sens. Il fait alors deux remarques très intéressantes. La première rappelle que la Constitution de la Ve République reprend intégralement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Or cette dernière n'est pas athée, mais clairement théiste (et les chrétiens peuvent aussi y reconnaître leur Dieu) puisqu'elle affirme : "l'Assemblée nationale reconnait et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen." Il faut relever ici que l'Assemblée déclare ces droits, elle les inscrit, les énonce, les publie, les diffuse, mais elle juge qu'elle ne les crée pas mais les reconnait, car de tels droits sont naturels. Quel est l'enjeu philosophique de la référence à une telle transcendance ? Il en va de la pérennité de ces droits. Rémi Brague écrit ainsi : "Le problème qui se pose pour les démocraties modernes est que ce que quelqu'un fait, il peut aussi le défaire. Ce qui est qu'octroyé par des hommes - des « droits », une « dignité », etc. - pourrait un jour retiré par ces mêmes hommes." Si les droits ne sont que des productions culturelles, historiquement et géographiquement déterminées, s'ils ne sont que des conventions instituées, ils peuvent être modifiés, au profit comme au détriment des hommes. Une transcendance comme celle de Dieu peut dès lors apparaître comme une sorte de garant de l'existence autonome de ces droits qui sont alors considérés comme naturels.
La seconde remarque formulée par Brague est une référence et une citation à la Lettre sur la tolérance de John Locke (1632-1704). Locke écrit : "Enfin, ceux qui nient
l'existence d'un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les
promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les
principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un
athée à tenir sa parole ; et que si l'on bannit du monde la
croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le
désordre et la confusion générale." La tolérance en matière de religion semble donc avoir une limite : l'athéisme, et la raison de cette limite n'est autre que la possibilité d'un ordre social et politique pacifique. Locke considère que la vie sociale dans son ensemble repose sur "les
promesses, les contrats, les serments et la bonne foi", or, sur quoi un athée pourrait-il bien jurer ou promettre ? Qu'est-ce qui l'engage vis-à-vis des autres ? Sa vertu ? Mais ne peut-elle être sujette à variations ?
Ainsi derrière cette question de la compatibilité entre l'athéisme et la politique, se cache la difficulté des démocraties et des sociétés modernes à poser une norme commune, une forme de transcendance, laïque ou autre. L’État peut-il se sacraliser lui-même pour remplir un tel rôle ? Mais, dès lors, n'est-ce pas une dérive totalitaire ? De plus, quel est le poids politique de la référence à un Être suprême lorsque la société en question n'entretient plus avec la religion une relation traditionnelle ? Ces difficultés elles-mêmes, politiques et sociales, ne risquent-elles pas justement de susciter un retour du traditionalisme en matière de religion ?
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