Qu'importe qu'une chose utile soit belle, dès lors qu'elle remplit sa fonction, non ? N'est-ce pas en effet ce qu'on attend d'un objet technique : qu'il remplisse la fonction pour laquelle il a été pensé et fabriqué ? La beauté qu'un tel objet peut manifester n'apparait que comme un "supplément d'âme" ou une dimension agréable, mais loin d'être nécessaire.
Pourtant, il n'y a-t-il pas une beauté propre de l'objet utilitaire ? Plutôt que d'apparaître comme une dimension extérieure et complémentaire à la fonction, cette fonction elle-même ne peut-elle donner naissance à des formes qui soient belles ?
Dans L'esthétique industrielle, Denis Huisman et Georges Patrix voient la Citroën DS19 comme une réponse à cette question.
"Quand les usines Citroën ont étudié ce modèle de voiture de route, à la fois rapide et économique, en adaptant à des buts pratiques, techniques, les formes extérieures de la carrosserie, ils ont à la fois tenté de donner à la fonction interne de l'automobile (confort des passagers) et aux fonctions externes (moindre résistance à la pénétration dans l'air) une priorité constante sur les détails extérieurs (l'élégance, la ligne, la grâce [...]). Or le miracle s'est produit : cette voiture née de la simple technique, dont la pureté formelle provenait d'un simple accord de la technique avec la structure, de la forme avec la fonction, du bon fonctionnement, de la commodité, de la stabilité et de l'efficacité, s'est trouvée esthétiquement parfaite. Elle allait absolument à contre-courant. Le style des automobiles de l'époque était celui de l'abondance de chromes et des ailerons de requins, des pare-chocs hérissés de bosses, d'une ligne surchargée [...].
C'est ainsi que la bonne forme peut conditionner une beauté inhérente à la matière elle-même. [...] Or, la D.S. répondait à une nécessité. Et l'adaptation s'est faite spontanément, directement de la forme à la fonction, de la nécessité à la construction. En d'autres termes [...] : l'esthétique industrielle n'est pas de l'art plaqué sur l'industrie ni même de l'art appliqué à l'industrie ; bien au contraire, elle se présente comme de l'art impliqué dans l'industrie. Cet art impliqué, c'est le critère de l'esthétique industrielle."
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