mercredi 28 mai 2014

La conscience de soi implique-t-elle la connaissance de soi ?

Nous sommes bien certains d'exister, mais savoir que nous sommes n'implique pas de savoir qui nous sommes. Descartes montre que la pensée, en tant que substance, suffit à me faire subsister malgré les changements qui m’affectent et mes caractéristiques accidentelles. Cependant, cette analyse philosophique ne nous apprend rien sur ce qui fait de chacun un individu singulier. Faut-il dès lors se fier à notre expérience quotidienne ?
Cette dernière ne nous offre cependant pas une image unifiée de nous-même : nos actes et nos comportements sont divers et parfois contradictoires. Nos différentes activités et relations nous obligent à des comportements différents. Mais en même temps chacun de ces gestes contribue à nous définir. Mais alors qui sommes-nous vraiment ? Si nos actions quotidiennes rendent difficile un portrait unifié de notre identité, est-ce par l'introspection que nous pourrons y accéder ?


Dans ce genre d'auto-analyse psychologique (du latin intra = à l'intérieur de… et spectare = regarder), le sujet devient l'objet de sa propre observation. Il y a identité entre le sujet observateur et l'objet observé. Hume dans son Traité de la nature humaine, tome 1 (1739) se livre à une telle introspection et prend conscience de lui-même dans un certain état : son esprit est habité par une perception (chaleur ou lumière) ou une émotion (amour ou haine) particulière mais qui ne dure jamais et qui est remplacée par une autre et ainsi de suite. Il « bute toujours », c'est-à-dire que l'état dont il prend conscience semble à la fois lui révéler une part de lui-même et en même temps faire obstacle à la perception d'un moi pur.
Il en conclut qu'un tel moi n'existe tout simplement pas. Pour Hume, le sujet humain est une collection d'états différents, un flux constant. Mais il n'existe aucune permanence à laquelle nous pourrions avoir accès et qui constituerait notre identité. Nous avons malgré tout tendance à imaginer que nous possédons bien une telle unité et une telle permanence.
Pour éclairer sa thèse, Hume a recours à la métaphore du théâtre : sur la scène différents acteurs entrent et sortent, tout comme dans notre esprit différents états nous habitent puis disparaissent. Cependant une telle comparaison a aussi une limite car au théâtre, les acteurs entrent et sortent d'une scène qui est fixe (le plateau), or l'âme ne possède pas une telle permanence.
 
Ainsi avoir conscience de soi ne conduit pas à une connaissance de soi et tout particulièrement à la conscience d'une identité. Pourtant, il doit bien subsister quelque chose de stables derrière tous les changements qui nous affectent. Nous changeons (par un acte de volonté, par nécessité) mais nous n'avons pas conscience de devenir quelqu'un d'autre : nous restons le même. Comment peut-on comprendre ce paradoxe ? La connaissance de nous-même ne peut-elle être que temporaire et sans cesse réitérée ?

Enfin, quand bien même nous serions en mesure de fixer dans le flux de nos états psychiques des constantes, rien ne semble en garantir l'authenticité. Dans l'introspection, l'objet observé et le sujet observant sont identiques, il est donc juge et partie : l'impartialité semble donc impossible. Nous avons tous tendance par amour propre à exagérer nos qualités et à sous-estimer nos manques. Parfois c'est le contraire nous sommes excessivement critique envers nous-même. Comment trouver la bonne distance vis-à-vis de soi pour se juger en toute objectivité ?

L'artiste Rembrandt est une très bonne illustration pur cette réflexion, car tout au long de sa vie, il n'a cessé de scruter sa propre image dans ses autoportraits, révélant tous quelque chose de lui-même.
Autoportrait de 1629, Musée Mauritshuis, La Hague

Autoportrait de 1640, National Gallery, Londres

Portrait de l'artiste à son chevalet de 1660, Musée du Louvre, Paris

Autoportrait de 1669, National Gallery, Londres

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