mercredi 28 mai 2014

Quel rapport le désir entretient-il avec la réalité ?

La Journée des langues a porté en 2013 sur le thème de l'amour. J'ai donc proposé une séance spéciale en commençant par rappeler (14 février oblige...) les origines de la Saint Valentin :
Antiquité : L’association du milieu du mois de février avec l’amour et la fertilité date de l’antiquité.
  • Grèce : Dans le calendrier de l’Athènes antique, la période de mi-janvier à mi-février était le mois de Gamélion, consacré au mariage sacré de Zeus et de Héra.
  • Rome : Le jour du 14 février était nommé les Lupercales ou festival de Lupercus, le dieu de la fertilité, que l’on représente vêtu de peaux de chèvre. Les prêtres de Lupercus sacrifiaient des chèvres au dieu et, après avoir bu du vin, ils couraient dans les rues de Rome à moitié nus et touchaient les passants en tenant des morceaux de peau de chèvre à la main. Les jeunes femmes s’approchaient volontiers, car être touchée ainsi était censé rendre fertile et faciliter l’accouchement. Cette solennité païenne honorait Junon, déesse romaine des femmes et du mariage, ainsi que Pan, le dieu de la nature.
Période chrétienne : La plupart des fêtes chrétiennes se sont substituées à des fêtes païennes. Les Lupercales ont finalement été assimilées par l'Église catholique romaine et remplacées par la fête de saint Valentin comme saint patron des couples. Au moins trois saints différents sont nommés Valentin, tous trois martyrs. Leur fête a été fixée le 14 février par décret du pape Gelase Ier, aux alentours de 498.

Puis nous avons étudié une figure du désir : Don Juan, telle qu'elle est mise en musique par Mozart et analysée par le philosophe Kierkegaard.


TEXTE : Kierkegaard, Ou bien... ou bien...
Quelle est la force par laquelle Don Juan séduit ? C'est celle du désir : l'énergie du désir sensuel. Dans chaque femme, il désire la féminité tout entière, et c'est en cela que se trouve la puissance, sensuellement idéalisante, avec laquelle il embellit et vainc sa proie en même temps. Le réflexe de cette passion gigantesque embellit et agrandit l'objet du désir qui rougit à son reflet, en une beauté supérieure. Comme le feu de l'enthousiaste illumine avec un éclat séduisant jusqu'aux premiers venus qui ont des rapports avec lui, ainsi, en un sens beaucoup plus profond, éclaire-t-il chaque jeune fille, car son rapport avec elle est essentiel. Et c'est pourquoi toutes les différences particulières s'évanouissent devant ce qui est l'essentiel : être femme. Il rajeunit les vieilles de telle sorte qu'elles entrent au beau milieu de la féminité, il mûrit les enfants presque en un clin d’œil ; tout ce qui est féminin est sa proie. [...]
Écoutez Don Juan ; si, en l'écoutant, vous n'obtenez pas une idée de lui, vous ne l'obtiendrez jamais. Écoutez le début de sa vie. Comme la foudre sort des nuées ténébreuses de l'orage, ainsi s'élance-t-il des profondeurs du sérieux, plus rapide que la foudre, plus capricieux qu'elle et, pourtant, aussi sûr ; écoutez comme il se jette dans la richesse de la vie, comme il se brise contre son barrage inébranlable, écoutez ces sons de violon, légers et dansants, écoutez le signe de la joie, l'allégresse du plaisir, écoutez les délices solennelles de la jouissance ; écoutez sa fuite éperdue, — dans sa précipitation il se dépasse lui-même, toujours plus vite, de plus en plus irrésistible, écoutez les désirs effrénés de la passion, écoutez le murmure de l'amour, le chuchotement de la tentation, écoutez le tourbillon de la séduction, écoutez le silence de l'instant, — écoute, écoutez, écoutez Don Juan de Mozart.

Questions :
  1. Quel rapport le désir entretient-il avec son objet ?
  2. Quelle est la véritable nature du désir sensuel ?
  3. Les femmes que désire Don Juan existent-elles vraiment ?
  4. Pourquoi le désir ne peut-il que se briser contre le barrage de la vie?
  5. Pour finir, essayez de donner une définition de la séduction, telle que Don Juan la conçoit.
Les trois stades de l'existence selon Kierkegaard
L'existence d'un individu peut passer par trois stades. Kierkegaard est contre tout système philosophique. Il ne s'agit donc pas d'étapes nécessaires de l'existence de tout individu, mais d'une description de états psychologiques d'un individu en fonction des différentes manières dont il s'engage dans le monde et envers les autres.

Le stade esthétique (qui mène au désespoir)
L'individu recherche le plaisir et oscille entre l'amusement et l'ennui. Il n'y a pas d'engagement à ce stade et le vain caractère de la vie apparaît comme désespéré. Dans le monde des sens, l'individu est esclave de ses désirs et de ses émotions.
3 figures littéraires relèvent du stade esthétique : le juif errant qui ne se fixe sur aucune terre, qui ne trouve pas son lieu ; Faust assoiffé de connaissance mais incapable d'y trouver sa satisfaction ; Don Juan en quête éternelle du plaisir de l'instant. Aucun des trois ne sait s'arrêter à un terme ultime qui lui donnerait la satisfaction du repos. L'esthétique est le mode d'être de l'homme moderne, homme sans engagement ni foi, être des surfaces, de l'incessante métamorphose. Le désespoir est le mode d'être de l'homme esthétique lorsqu'il s'aperçoit qu'il n'a pas de moi.
L'ironie est le mode d'être qui fait signe vers le stade suivant. Kierkegaard voit dans l'ironie une sorte de désespoir intellectuel caractéristique de l'homme de la sphère esthétique qui compense ainsi l'inanité de son moi en dissolvant le monde. Mais s'il découvre les failles du moi esthétique éparpillé dans la sensualité, l'ironiste n'a pas le courage de changer de vie. Il se réfugie alors dans la plaisanterie qui naît de la contradiction entre sa prise de conscience intellectuelle et son attitude existentielle. La dérision, qui est l'attitude dominante de l'homme actuel est tout à fait symptomatique de cette impuissance : on glousse et on ricane quand on ne sait rien et qu'on n'en peut guère plus.

Le saut dans le stade éthique (se choisir soi-même et se reconnaître pécheur)
Le stade éthique se caractérise par le sérieux de la vie organisée selon le temps de la loi et du devoir. L'esthétique se situait dans l'instant, l'éthique se situe dans le temps. Le métier et le mariage signalent la vie éthique. Alors que l'homme esthétique disperse sa vie dans la multitude des instants de plaisir, l'homme éthique donne à sa vie un centre. Ce changement se produit lorsque, dans son désespoir, l'individu se reconnaît comme dominé par de vains penchants et choisit l'engagement et la fidélité.Ce choix absolu de l'individu constitue sa liberté.
L'humour marque le passage de l'éthique au religieux. L'humour apparaît dès que l'individu comprend que quelque chose existe au-delà de son existence. Il est le mode d'être de l'homme conscient de la distance qui le sépare de l'infini mais reste tout de même attaché à l'immanence du jeu. À l'opposé de l'ironie qui est orgueilleuse, l'humour est humble.

Le stade religieux (se libérer du péché par la foi en Dieu)
Il est le prolongement nécessaire du stade éthique car l'individu reconnaît qu'il a besoin de la foi en Dieu pour se libérer du péché qui le domine. Aux yeux de Kierkegaard, ce n'est pas \a vertu qui est le contraire du péché mais la foi. Ce stade se caractérise par l'angoisse et le désespoir
Grâce à la répétition (la méditation, la prière, le rituel) du moment présent il devient possible d'atteindre ce qui nous est refusé : l'éternité. À travers la répétition s'établit, entre l'instant et l'éternité, une relation dialectique. Pour nous qui vivons dans le temps, le stade religieux est à la fois exigé et refusé. Abraham est la figure du chevalier de la foi qui a fait ce saut dans la foi.

Exister, c'est donc assumer les paradoxes auxquels se trouve confrontée une conscience déchirée entre le fini et l'infini, le temps et l'éternité, l'être et le vouloir, paradoxes douloureux, écartèlement tragique de la conscience qui seuls peuvent faire coexister les contraires sans jams pouvoir les réconcilier ici-bas.

D'autres figures du désir, dans des opéras en diverses langues (allemand, français et anglais) ont été également mobilisées : Das Rheingold de Wagner 1869 (Levine & Lepage) ; Armide de Lully 1686 (Christie & Carsen) ; Fairy Queen de Purcell 1692 (Christie & Kent) ; Orphée aux Enfers de Offenbach 1858 (Minskowski & Pelly)

La conclusion a été laissée à Brigitte Fontaine qui chante dans Pipeau
L'amour, l'amour, l'amour
toujours, le vieux discours
soit divin, soit humain,
idem le baratin
jusque dans les WC
j'en peux plus par pitié
faudrait changer de disque
entreprise à hauts risques
Les curés en chaleur
les idoles en pleurs
les mémés les plus louches
n'ont que ça à la bouche
oh de grâce arrêtez de vous badigeonner
de cette pub idiote
j'en ai plein la culotte

L'amour c'est du pipeau
c'est bon pour les gogos
L'amour c'est du pipeau
c'est bon pour les gogos

bardes dégoulinants
scribouillards pleurnichant
délicats militaires
épargnez nous vos glaires
Vénus ô statue creuse !
mets la donc en veilleuse
va t'faire voir chez les grecs,
les anthropopithèques

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