Nous avons vu dans le cours intitulé : Pourquoi philosopher ? que la philosophie ne semblait avoir de l'intérêt qu'à un certain âge : l'adolescence (voir Calliclès dans Gorgias de Platon). On pourrait ajouter que la philosophie n'est plus d'époque : cette discipline semble avoir été dépassée, voire remplacée, par la science. L'histoire de nos idées ne manifeste-t-elle pas une évolution naturelle vers la science ? Telle est l'analyse historique que propose Comte (1798-1857) Discours sur l'esprit positif (1re partie) :
En étudiant ainsi le développement total de l'intelligence humaine dans ses diverses sphères d'activité, depuis son premier essor le plus simple jusqu'à nos jours, je crois avoir découvert une grande loi fondamentale, à laquelle il est assujetti par une nécessité invariable, et qui me semble pouvoir être solidement établie, soit sur les preuves rationnelles fournies par la connaissance de notre organisation, soit sur les vérifications historiques résultant d'un examen attentif du passé. Cette loi consiste en ce que chacune de nos conceptions principales, chaque branche de nos connaissances, passe successivement par trois états théoriques différents : l'état théologique, ou fictif, l'état métaphysique ou abstrait, l'état scientifique, ou positif. [...] De là, trois sortes de philosophies, ou de systèmes généraux de conceptions sur l'ensemble des phénomènes, qui s'excluent mutuellement : la première est le point de départ nécessaire de l'intelligence humaine ; la troisième, son état fixe et définitif ; la seconde est uniquement destinée à servir de transition.
Dans l'état théologique, l'esprit humain dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, [...] se représente les phénomènes comme produits par l'action directe et continue d'agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l'intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l'univers.
Dans l'état métaphysique, qui n'est au fond qu'une simple modification générale du premier, les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites, véritables entités (abstractions personnifiées) inhérentes aux divers êtres du monde, et conçues comme capables d'engendrer par elles-mêmes tous les phénomènes observés, dont l'explication consiste alors a assigner pour chacun l'entité correspondante.
Enfin dans l'état positif, l'esprit humain reconnaissant l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s'attacher uniquement à découvrir, par l'usage bien combiné du raisonnement et de l'observation, leurs lois effectives, c'est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude.
Comte identifie dans l'histoire des connaissances humaines " une grande loi fondamentale " : la loi des trois états.
- L'état théologique : Face à des phénomènes qu'ils ne comprennent pas les hommes inventent des fictions qui en rendent compte et ils y croient. Par exemple pour les Grecs l'arc-en-ciel était vu comme la manifestation de la déesse Iris, messagère de la déesse Hera, qui en remerciement de ces bons services fut transformée en arc dans de ciel. Une telle explication nous apparaît comme complètement fantaisiste, plus de l'ordre de la fiction.Un mythe est en effet un récit fabuleux qui met en scène des êtres symboliques. Cette explication nous paraît erronée mais elle montre néanmoins que les hommes ont observé le phénomène et ne se sont pas contentés de le constater, ils ont chercher à le justifier.
- L'état métaphysique : on y retrouve le même désir d'explication mais avec un souci d'argumentation rationnelle et non plus un recours à des agents surnaturels. Ce moment correspond à un travail de destruction des explication théologiques grâce au développement de l'abstraction. On parle de cause, de force, de principes.
- L'état positif : la recherche des causes absolues est abandonnée au profit de l'établissement de lois partielles et locales. On ne cherche plus à répondre à la question « pourquoi tel phénomène se produit? » mais à la question : « comment tel phénomène se produit? » Par exemple la loi de la gravitation de Newton, explique les mouvements du système solaire et le phénomène des marées sans qu'on ait besoin de savoir ce qu'est la gravitation.
La mythologie a laissé la place à la philosophie qui a elle-même cédé face à la science qui apporte des réponses plus satisfaisantes car obéissant aux critères de certitude, de précision, de réalisme et d'utilité.
Exercice 1 : identifiez à quels états distinguées par Comte ces 3 textes peuvent être rattachés.
Texte 1 : « Sachez donc, premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition que Dieu continue de la conserver en la même façon qu'il l'a créée. Car, de cela seul qu'il continue ainsi de la conserver, il suit de nécessité qu'il doit y avoir plusieurs changements en ses parties, lesquels ne pouvant, ce me semble, être proprement attribués à l'action de Dieu, parce qu'elle ne change point, je les attribue à la Nature ; et les règles suivant lesquelles se font ces changements, je les nomme les lois de la Nature. » Descartes, Traité du Monde, ch. VII
Texte 2 : « Dieu dit : Qu'il y ait des astres dans l'étendue céleste, pour séparer le jour et la nuit ; que ce soient des signes pour marquer les temps, les jours et les années ; que ce soient des astres dans l'étendue céleste pour éclairer la terre. Il en fut ainsi. Dieu fit les deux grands astres, le grand pour dominer sur le jour, et le petit pour dominer sur la nuit ; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça dans l'étendue céleste, pour éclairer la terre, pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir et il y eut un matin : ce fut un quatrième jour. » Bible, Ancien Testament, Genèse, 1,14-16
Texte 3 : « ce que j’appelle ici attraction, peut être produit par impulsion ou par d’autres moyens qui me sont inconnus. Je n’emploie ce mot d’attraction que pour signifier en général une force quelconque, par laquelle les corps tendent réciproquement les uns vers les autres, quelle qu’en soit la cause: car c’est des phénomènes de la nature que nous devons apprendre que les corps s’attirent réciproquement, & quelles sont les lois et propriétés de cette attraction, avant que de recherche quelle est la cause qui la produit». Newton, Traité de l’optique, 1704
Exercice 2 :
1) En vous appuyant
sur la distinction opérée par Comte, rédigez un paragraphe répondant au sujet de
dissertation suivant : « Le progrès des sciences va-t-il
faire disparaître les religions ? »
2) Quelles
objections pourrait-on faire à cet argument ?
Cependant, comme nous l'avons vu avec Platon dans Théétète, la philosophie semble pourtant être la seule discipline à pouvoir aborder un certain nombre de questions bien particulières. De plus, comme nous le verrons, la science n'est pas peut-être pas possible sans un fondement philosophique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire